Hogan Lovells 2024 Election Impact and Congressional Outlook Report
Le rôle de l'arbitrage international en Afrique ne cesse de croître. A ce titre, le Sénégal se positionne progressivement dans ce domaine. Pour mieux comprendre le développement de l'arbitrage international au Sénégal, son rôle, la connaissance qu'en ont les acteurs juridiques locaux, mais aussi son avenir, nous nous sommes entretenus avec quelques-unes des figures de proue de l'arbitrage international dans le pays : Diamana Diawara, Aboubacar Fall, Habibatou Touré et Thomas Kendra. Il en ressort une image optimiste de ce mode de résolution des litiges en plein essor sur le continent africain.
La place de l’arbitrage international en Afrique ne cesse de croitre. C’est ce que confirment aujourd’hui unanimement les ressources disponibles. Selon par exemple une enquête de la SOAS de 2020, pas moins de 73 centres d'arbitrage en Afrique ont une présence sur internet. Aussi, certains pays africains, dont la Côte d'Ivoire abritant le siège de la Cour commune de justice et d'arbitrage de l'OHADA à Abidjan, et l'Égypte avec le Centre régional du Caire pour l'arbitrage commercial international − qui sont d’ailleurs deux des top cinq centres d’arbitrage en Afrique selon l’enquête SOAS − ont déjà acquis une réputation d’acteurs de premier plan dans le domaine de l'arbitrage international. Le Nigeria, quant à lui, s'est fait remarquer en accueillant les éditions de la Conférence de la Chambre de Commerce Internationale (CCI) sur l'arbitrage international en Afrique, illustrant sa place majeure sur cette scène.
Le Sénégal, sur la côte Atlantique de l’Afrique, entre la Guinée-Bissau et la Mauritanie, monte progressivement en puissance sur le plan de l’arbitrage international alors qu’il s’est peut-être montré initialement plus discret. Membre fondateur de l'Organisation pour l'Harmonisation en Afrique du Droit des Affaires (OHADA), le Sénégal doit cette dynamique positive notamment à ses atouts économiques considérables et son cadre juridique favorable. Cette ascension du pays en arbitrage prend davantage d’importance à la lumière de la Zone de libre-échange continentale africaine (ZLECAf) à laquelle le Sénégal participe. C’est dans ce contexte que cet article fait le point sur l’arbitrage international au Sénégal.
Pour mieux comprendre le développement de l’arbitrage international aujourd’hui au Sénégal, son rôle, la connaissance de la matière par les acteurs juridiques locaux, et aussi son avenir nous avons mené des discussions avec quelques-uns des personnages clés de l’arbitrage international dans ce pays : Diamana Diawara (Directrice de l'arbitrage et les méthodes alternatives pour l'Afrique à la CCI), Aboubacar Fall (Associé principal du cabinet AF LEGAL et Président de Société Sénégalaise de Droit International (SSDI)), Habibatou Touré (Arbitre et avocate sénégalaise également experte de l’arbitrage), et Thomas Kendra (Associé au sein du cabinet Hogan Lovells et co-fondateur d’AfricArb, une association dédiée au développement de l’arbitrage sur le continent). Il en ressort un tableau optimiste pour ce mode de résolution des différends en plein essor sur le continent africain.
Depuis de nombreuses années, le Sénégal s’est résolument engagé dans la promotion active de l’arbitrage sur son territoire. Cet Etat de l’Afrique de l’Ouest a en effet, dès 1964 consacré un livre du Code de Procédure Civil aux Arbitrages, en 1967 souscrit à la convention de Washington, en 1994 à celle de New York, enfin en 1995 il fut parmi les premiers pays à avoir ratifié le Traité de Port Louis, instituant l’Organisation pour l’Harmonisation du Droit des Affaires en Afrique (OHADA).
Tel que souligné par Me. Aboubacar Fall, associé principal du cabinet AF LEGAL et par ailleurs président de la Société Sénégalaise de Droit International (SSDI), « le Sénégal a fait figure de précurseur parmi les nations d’Afrique francophone en ce qui concerne l’adoption précoce de législations favorables à l’arbitrage », il ajoute que « Le Sénégal a toujours soutenu les échanges internationaux et a été un meneur dans les relation intra-africaine, il est de ce fait l’un des pays qui a fortement contribué à la création de l’OHADA. Un magistrat sénégalais est d’ailleurs l’un des pères fondateurs de l’OHADA ». En effet, Keba Mbaye, juge sénégalais qui fut également membre du Comité international olympique et de la Cour internationale de justice, a également été cité par Mme Diawara, soulignant ainsi la position de premier plan des personnalités sénégalaises dans les premières étapes du développement de l'arbitrage international :
« Keba Mbaye l’un des pères fondateurs de l’OHADA a été au début des années 80 l’un des premiers membres africains de la Cour Internationale d’Arbitrage de la CCI! Cela illustre à quel point les juristes sénégalais ont été précurseurs du développement de l’arbitrage sur le continent africain et notamment dans le cadre de l’OHADA » (Diamana Diawara).
De ce fait, l’adhésion du pays à l’OHADA, avec sa loi moderne d’arbitrage établit dans l’Acte Uniforme, a aussi grandement contribué à l’épanouissement de l’arbitrage en consolidant sa situation comme une destination privilégiée pour la résolution des litiges dans l’Afrique de l’Ouest. Comme Mme. Diamana Diawara de la CCI confirme : « l’OHADA joue aussi un rôle primordial dans la construction de ce mode de règlement des différends ».
Ce développement florissant de l’arbitrage au Sénégal s’inscrit étroitement dans la dynamique de l’évolution de son économie et de ses relations commerciales. Le pays a enregistré des taux de croissance économique remarquables, manifestant une progression substantielle du PIB avec une croissance de 6,5 % en 2021 et 4,2 % en 2022, malgré les impacts du covid, positionnant ainsi le Sénégal comme la seconde puissance économique au sein de l’Union économique et monétaire ouest-africaine. Cette vigueur économique a naturellement captivé l’attention d’investisseurs étrangers, notamment des partenaires commerciaux de premier plan, tels que l’Union Européenne, dont la France, la Belgique et les Pays-Bas contribuant à hauteur de 32 % des importations sénégalaises.
À cela s'ajoute le rôle central joué par le Sénégal dans la promotion de l'arbitrage international en tant que mécanisme privilégié de résolution des différends en matière d'investissements étrangers. Par exemple, le pays a conclu pas moins de 29 TBI protégeant les investisseurs, cela témoigne d'une volonté d'encourager un climat d'investissement stable et favorable. Toutefois, nombre de ces traités sont en vigueur depuis des décennies et, par conséquent, le moment semble propice pour réformer certains aspects de ces accords. C’est ce que souligne à juste titre Me. Habibatou Touré, « la recherche d’un juste équilibre reste d’ailleurs une démarche importante étant donné que les États africains ont été confrontés à plusieurs enjeux inhérents à l’arbitrage d’investissement traditionnel ».
« Toute réforme relative aux traités d'investissement doit impérativement prendre en considération les intérêts des États africains » (Aboubacar Fall).
D’autres initiatives se multiplient également au Sénégal, comme la conférence organisée par Jus Africa sur « L'arbitrage et les entreprises en droit OHADA », qui se tiendra à Dakar cette année. Selon Me. Fall, au Sénégal, aujourd’hui « les principaux éléments sont favorables à l'arbitrage », de plus comme le souligne Diamana Diawara « Les parties optent pour l’arbitrage pour obtenir des décisions exécutables, rapides, neutres et confidentielles ». Me. Touré souligne également que dans sa pratique quotidienne elle conclut « presque exclusivement des contrats comportant des clauses d’arbitrage, en adéquation avec une demande croissante de la part des clients ». Dès lors, les clients internationaux démontrent ainsi une confiance dans la procédure arbitrale.
L’arbitrage international au Sénégal, bien qu’en pleine croissance, n’est pas exempt de défis majeurs à surmonter pour continuer son développement. Selon Diamana Diawara de la CCI, un des défis majeurs consiste à « garantir que les juridictions étatiques reconnaissent les sentences conformément aux normes internationales les plus couramment acceptées ». Me. Fall ajoute qu’actuellement « les parties veulent initier des arbitrages mais il y a un défi lié aux infrastructures de soutien tels que les centres d’arbitrage ». Néanmoins, comme l’appuie Habibatou Touré, « cela n’est peut-être qu’une question de maturité. On ne peut pas comparer des institutions qui sont là depuis 100 ans et des centres africains plus récents ». Mme Diawara ajoute que le développement des centres est intrinsèque au développement de l’arbitrage.
Thomas Kendra, associé chez Hogan Lovells et co-fondateur d'AfricArb, une association dédiée au développement de l'arbitrage sur le continent, travaille sur le développement de l'arbitrage en Afrique et souligne qu'une plus grande transparence est importante pour le développement des centres d'arbitrage en Afrique. Selon Me Kendra, qui a participé à la création du Centre d'arbitrage international de Kigali (KIAC) et reste membre du Board : « en arbitrage le développement de la transparence est extrêmement important, notamment pour rassurer des clients et d’autres acteurs de l’économie que l’arbitrage est fiable et fonctionne de façon efficace. Nous avons ainsi établi au KIAC un partenariat pour le partage d'informations et de matériel sur l'arbitrage avec la plateforme Jus Mundi. Il s'agit d'un outil fondamental pour assurer aux utilisateurs de l'arbitrage une plus grande prévisibilité des solutions susceptibles d'être adoptées par les arbitres. Grâce à ce genre d’initiative, nous avons été l’institution référente dans plus que 300 dossiers en moins de 10 ans, un nombre impressionnant pour un nouveau centre».
D’autre part, un autre défi persiste : celui de la connaissance et la familiarité de cette méthode de résolution de différends. Me. Fall insiste sur la « nécessité de former davantage de professionnels, y compris les magistrats et le secteur privé, pour leur expliquer les avantages et les spécificités d’avoir recours à ce mode de résolution des différends ». Me. Touré souligne d’ailleurs que « les acteurs juridiques sénégalais sont demandeurs de formations à l’arbitrage international ». Diamana Diawara aborde en ce sens : la formation des jeunes praticiens est primordiale « le monde étudiant, les jeunes praticiens sont essentiels au développement de l’arbitrage. En les formant on arrive à mettre en place des réflexes de recours aux modes de règlement alternatifs lorsqu’ils seront confrontés à des litiges futurs ». Le dialogue entre le monde judiciaire et les acteurs de l’arbitrage international est par conséquent essentiel pour renforcer la sécurité juridique, former les juges et favoriser le développement économique par le biais d’investissements étrangers.
« L’arbitrage n’est pas l’ennemie et ne s’oppose pas au système judiciaire local, il répond simplement à un besoin de traiter un litige différemment lorsque cela s’avère pertinent » (Habibatou Touré).
De plus, comme l’indique Diamana Diawara, « le dialogue, entre le monde du judiciaire et les acteurs de l’arbitrage, revêt une grande importance pour le développement de l’arbitrage sur le continent ». Les centres d’arbitrage jouent également un rôle essentiel dans le règlement des litiges en Afrique, comme le souligne Diamana Diawara, « la Chambre de Commerce Internationale remplie la mission d'opérer une plateforme efficace de règlement des litiges sur le continent africain ». Il est par conséquent manifeste que le développement de l'arbitrage sur le continent dépend en particulier des institutions qui l'offrent et le gèrent.
Malgré les défis, Mme Diawara reste optimiste et ajoute : « on a les outils mails il faut continuer à travailler de près avec le monde judiciaire, de la magistrature pour vraiment réussir à conscientiser l’importance pour le Sénégal de la construction de cette place d’arbitrage. Je suis persuadée que Dakar a tout ce qu’il faut pour devenir une des places d’arbitrage de demain ».
L’Accord portant création de la Zone de libre-échange continentale africaine de 2018, aussi appelé ZLECAf, ratifié par le Sénégal le 12 mars 2019, représente une initiative ambitieuse en créant la plus grande Zone de libre-échange au monde, réunissant les 55 pays de l'Union africaine et huit communautés économiques régionales. Le mandat général de la ZLECAf est de créer un marché continental unique avec une population d'environ 1,3 milliard de personnes et un PIB combiné d'environ 3,4 trillions de dollars américains. De ce fait, la ZLECAf entraînera probablement une augmentation des litiges comme le souligne Diamana Diawara :
« En créant une Zone de libre-échange intra-africaine, la ZLECAf aura un impact certain sur le nombre d’arbitrages sur le continent » (Diamana Diawara).
Néanmoins, l’application de ce traité reste à définir et mettre en œuvre. Comme explique Me. Touré : « il faut se méfier de certains effets de mode, car il y a beaucoup de prérequis de fond qui devront être cernés avant de pouvoir constater les impacts de la ZLECAf ». Me. Fall souligne également que l’OHADA devra s'ajuster face à la ZLECAf pour garantir une transition harmonieuse et respecter une certaine hiérarchie des normes « la ZLECAf conduira sans doute à des conflits de lois ». Me. Kendra ajoute quant à lui que c’est particulièrement en matière d’investissement que ces transformations se feront ressentir. Il souligne notamment : « la volonté politique majeure que représente ce projet, ainsi que les bénéfices potentiels en termes d'investissement, de croissance économique et de coopération interafricaine que cette initiative ambitieuse pourrait apporter ».
Pour conclure, le Sénégal se révèle être un acteur actif et engagé sur la scène de l’arbitrage international. Cette pratique est en constante évolution, grâce à un environnement juridique favorable que le pays a patiemment développé, et cet essor, encouragé d’autant plus dans le contexte dynamique de la ZLECAf, présage d’un avenir de plus en plus prometteur pour la résolution des litiges internationaux en Afrique.
Authored by Thomas Kendra, Lédéa Sawadogo-Lewis, and Camila Silva Kamel.
Collaborating Experts: