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La réforme de l’encadrement des centres de santé, une réglementation attendue mais dont les contours restent encore limités

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Une nouvelle proposition de loi est en cours d’adoption, visant à améliorer l’encadrement des centres de santé en France. Ce texte participe à la construction du cadre réglementaire applicable à la mise en place de ces structures et leur organisation.

Des sanctions récentes appliquées à des centres de santé. Dans une récente décision, l’Assurance Maladie a annoncé déconventionner, pour une durée de 5 ans sans sursis, deux centres de santé dentaires et ophtalmologiques situés dans les Yvelines et en Seine-Saint-Denis. Le préjudice financier subi par l’Assurance Maladie s’élève à près de 1,5 million d’euros. Le dé-conventionnement implique que l’Assurance Maladie ne prend en charge les soins de santé pratiqués dans ce centre que sur une base très faible, à un tarif appelé tarif d’autorité. A titre d’exemple, pour une consultation ophtalmologique à 30 euros, l’Assurance Maladie ne rembourse qu’un montant de 1.22 euros.

L’Assurance Maladie démontre ainsi sa mobilisation pour lutter activement contre les pratiques frauduleuses relatives au remboursement de soins de santé. Le communiqué de presse annonçant les décisions de sanctions indique que « 88 centres de santé dentaires et 44 centres de santé ophtalmologiques font actuellement l’objet de contrôles par les caisses d’Assurance Maladie ». L’organisme informe aussi qu’il poursuit ses contrôles en lien avec les services de justice, de police et de gendarmerie visant à identifier la mise en place de pratiques abusives ou frauduleuses au sein des centres de santé à activité ophtalmologique ou dentaire.

C’est dans le cadre d’une de ces enquêtes, que l’Assurance Maladie a permis de confirmer les pratiques frauduleuses émanant de ces deux centres de santé, qui ont non seulement établi de fausses facturations pour des actes effectivement accomplis mais qui ont aussi facturé des actes fictifs.

Un crainte croissante en raison d’une réglementation encore parcellaire. Ces décisions s’inscrivent dans la lignée d’une préoccupation grandissante des autorités au sujet des centres de santé et font écho aux constats déjà réalisés depuis plusieurs années par l’IGAS, notamment à l’occasion du scandale Dentexia. Le point central des inquiétudes des autorités est le modèle économique des centres de santé. Le code de la santé publique pose pourtant plusieurs limites :

  • une limite relative à la gestion : le code de la santé publique restreint les entités pouvant assurer la gestion des centres de santé en n’autorisant que des organismes principalement à but non lucratif. Ces organismes comprennent les départements, les communes ou leurs groupements, les établissements publics de santé, les personnes morales gestionnaires d'établissements privés de santé, à but non lucratif ou à but lucratif ou les sociétés coopératives d’intérêt collectif à condition de n’avoir pour associé(s) que les entités mentionnées précédemment ;
  • une limite relative au sort des bénéfices : le code de la santé publique interdit la distribution des bénéfices issus de l’exploitation d’un centre de santé, et contraint à ce qu’ils soient mis en réserve ou réinvestis au profit du centre de santé concerné, d'un ou plusieurs autres centres de santé ou d'une autre structure à but non lucratif, gérés par le même organisme gestionnaire.

Des structurations ont par conséquent vu le jour, par lesquelles les dirigeants des organismes gestionnaires des centres de santé avaient des liens d’intérêts directs ou indirects avec des entreprises privées fournissant des produits ou des prestations de services aux centres de santé, réinstaurant une logique lucrative. Les centres de santé s’étant largement développés face aux déserts médicaux, des pratiques frauduleuses ont ainsi vu le jour, notamment dans le secteur dentaire avec les scandales Dentexia (2015) ou Proxidentaire (2021), qui ont pu mettre en lumière des dérives impactant la qualité, la sécurité et la pertinence des soins prodigués aux patients.

C’est dans ce cadre que s’inscrit la proposition de loi visant à améliorer l’encadrement des centres de santé. Cette proposition de loi a été adoptée à l’unanimité en première lecture par l’Assemblée Nationale le 30 novembre 2022 et vient d’être adoptée à l’unanimité par le Sénat le 14 février, avec quelques modifications.

Activités ophtalmologiques ou dentaires. Cette proposition de loi était attendue mais on peut s’interroger sur l’étendue de sa portée. Elle se concentre majoritairement sur les centres de santé ayant une activité ophtalmologique ou dentaire.

Prévention des conflits d’intérêt. Par ailleurs, parmi les mesures proposées, une nouvelle restriction apparait, avec pour objectif clairement annoncé de faire échec aux dérives de certains modèles économiques structurant actuellement les centres de santé. Un nouvel article serait ainsi intégré dans le code selon lequel « le dirigeant d’un centre de santé ne peut exercer de fonction dirigeante au sein de la structure gestionnaire lorsqu’il a un intérêt, direct ou indirect, avec des entreprises privées délivrant des prestations rémunérées à la structure gestionnaire ». L’intention est claire, et bien que la notion d’intérêt direct ou indirect soit floue et susceptible de couvrir un grand nombre de situations de fait, l’interdiction reste cependant limitée. L’interdiction ne vise que les dirigeants de centre de santé, elle les empêche seulement de prendre une fonction dirigeante au sein de la structure gestionnaire, et uniquement pour le cas où les dirigeants de centre de santé auraient des liens avec les entreprises délivrant des prestations rémunérées à la structure gestionnaire.

Les dirigeants des structures gestionnaires ne sont pas visés par l’interdiction, tout comme les autres fonctions au sein des centres de santé. Enfin, seuls les liens avec les entreprises (i) délivrant des prestations rémunérées (ii) à la structure gestionnaire, sont considérés comme à risques. L’accumulation de critères permet de faire échapper au champs d’application de cette interdiction un grand nombre de cas de figure, comme par exemple des participations croisées d’entreprises délivrant des prestations rémunérées avec différentes structures gestionnaires, ou encore des liens d’intérêts avec des entreprises privées fournissant des produits ou des équipements aux structure gestionnaires.

Agrément préalable de l’ARS. Autre mesure notable dans ce même objectif, la mise en place d’une demande d’agrément préalable obligatoire à l’Agence Régionale de Santé (ARS) pour l’ouverture des centres de santé ou leurs antennes ayant une activité dentaire ou ophtalmologique, activités considérées comme étant à risque. Un dossier de demande d’agrément devra ainsi être déposé devant l’ARS et comporter, en plus du projet de santé porté par le centre, une déclaration des liens et conflits d’intérêts de l’ensemble des membres de l’instance dirigeante de la structure gestionnaire, ainsi que les contrats liant la structure gestionnaire à des sociétés tierces.

Les centres de santé déjà existant seraient également concernés et devraient obtenir cet agrément dans un délai de six mois à compter de l’entrée en vigueur de cette loi pour leurs activités dentaires et ophtalmologiques. A nouveau, l’objectif de la contrainte est clair mais celle-ci reste limitée. L’exigence d’obtenir un agrément ne couvre que les activités dentaires ou ophtalmologiques des centres de santé. Toute autre activité échappe à l’exigence d’agrément et donc à l’établissement de déclarations de liens et conflits d’intérêts. Un décret devrait également préciser le contenu du dossier de demande d’agrément et préciserait probablement sous quelle forme ces déclarations des liens et conflits d’intérêts devraient être établis. A nouveau, le format et le niveau de détails attendu sera déterminant pour mesurer la portée de cette exigence déclarative, et son efficacité réelle. De la même façon pour la déclaration relative aux contrats conclus avec des sociétés tierces par les structures gestionnaires, on pourrait anticiper que si la déclaration se limitait à la seule mention de l’existence des contrats, celle-ci ne serait pas nécessairement suffisante pour permettre d’identifier de potentiels liens directs ou indirects interdits.

Autres mesures proposées. Parmi les autres mesures proposées, le texte porte notamment :

  • l’instauration, dans le but d’obtenir l’agrément, d’une obligation de transmettre au directeur de l’ARS et au Conseil départemental de l’ordre de la profession concernée  (pour les centres dentaires et ophtalmologiques), les copies des contrats de travail des chirurgiens-dentistes, assistants dentaires, ophtalmologistes et orthoptistes. Le Conseil départemental de l’ordre compétent devra rendre un avis motivé sur ces documents.
  • la mise en place d’un comité médical ou dentaire composé des professionnels de santé exerçant dans le centre des activités dentaires ou ophtalmologiques, ayant pour but de répondre de la qualité, de la sécurité et de la pertinence des soins dispensés au sein du centre, ainsi que de la formation continue des professionnels de santé exerçant dans le centre au titre de ces activités. Le gestionnaire a aussi l’obligation d’afficher de manière visible sur tout support utile, l’identité de l’ensemble des médecins et des chirurgiens qui y exercent. Les professionnels de santé travaillant dans ces centres doivent aussi être identifiés par un numéro personnel distinct du numéro identifiant la structure où ils exercent leur activité.Les centres de santé et leurs antennes ayant une activité ophtalmologique, ne pourront compter plus d’assistants médicaux que de médecins, dans le but d’assurer une meilleure prise en charge médicale des patients.
  • le descriptif des nouvelles prérogatives du directeur général de l’ARS :
  • le directeur de l’ARS peut refuser à un gestionnaire l’ouverture d’un nouveau centre ou d’une nouvelle antenne lorsque l’un de ses centres ou antennes fait déjà l’objet d’une procédure de suspension ou de fermeture. Le gestionnaire ne pourra donc plus contourner la sanction relative à la fermeture du centre de santé en créant une nouvelle structure ;
  • il reçoit des gestionnaires des centres de santé les comptes certifiés par commissaire aux comptes lorsqu’ils y sont assujettis.
  • l’interdiction de demander le paiement intégral des soins avant qu’ils aient été dispensés pour tous les centres de santé quelle que soit leurs spécialités.
  • l’augmentation des sanctions applicables aux centres de santé par les ARS lorsqu’elles détectent des manquements à leurs obligations réglementaires et législatives. Le directeur général de l’ARS peut prononcer une amende administrative allant jusqu’à 500 000 euros et pouvant être assortie d’une astreinte journalière de 5.000 euros. Ces montants ont fait l’objet d’une augmentation lors de l’examen du texte par le Sénat.

Cette nouvelle proposition démontre, une nouvelle fois, que la santé n’est pas un secteur comme les autres. Même si le législateur, en suivant la pratique et l’évolution de l’innovation, ouvre progressivement la porte à une libéralisation de certaines activités, les pouvoirs publics restent très attentifs aux conditions de prises en charge des patients et à la maîtrise de la prise en charge des soins par l’Assurance Maladie, et à la lutte contre les dérives et pratiques frauduleuses opérées sur ce marché. La portée de cette proposition de loi peut toutefois être discutée à ce stade. Si la règlementation des soins en France doit nécessairement s’adapter et suivre les évolutions du secteur et les innovations, afin notamment d’améliorer les opportunités de traitement des patients en France, cette proposition de loi pourrait n’avoir qu’une portée limitée, notamment sur la structuration du modèle économique des centres de santé.

Next steps

Le texte devra être examiné de nouveau devant l’Assemblée nationale sous peu, nous vous proposerons un suivi des éventuels aménagements et évolutions de cette proposition de loi.

 

 

Mikael Salmela, Joséphine Pour, Julie Montel, and Théophile Tsimaratos.

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