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Les nouvelles Lignes directrices relatives aux obligations de vigilance sur les opérations et aux obligations de déclaration et d’information à Tracfin : une mise à jour bienvenue

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Les Lignes directrices conjointes publiées par l’ACPR et Tracfin constituent un document de référence pour les acteurs financiers assujettis aux obligations de LCB-FT. Bien qu’elles ne revêtent pas de portée contraignante, elles reflètent l’interprétation des textes applicables en la matière par l’ACPR et Tracfin. Ces Lignes directrices, publiées le 23 avril 2025, remplacent une précédente version de 2018. Elles intègrent les évolutions réglementaires des dernières années (notamment la 5ème Directive AML, l’ordonnance n°2020-115 du 12 février 2020 et l’arrêté du 6 janvier 2021) et tiennent compte d’une double dynamique : d’une part la complexification des schémas de blanchiment de capitaux (recours à des cryptoactifs, fraudes documentaires, etc.), et d’autre part le développement d’outils de vigilance et de détection renforcés grâce aux dernières évolutions technologiques. Elles apportent donc d’utiles précisions concernant le renforcement des obligations de LCB-FT, et l’intégration de nouveaux outils technologiques de surveillance et de détection des opérations atypiques.

Le renforcement des obligations de vigilance, de détection, et de déclaration des opérations atypiques

Connaissance client – Tout d’abord, les nouvelles Lignes directrices insistent sur l’importance de la connaissance client, et sur le rôle de la définition exacte du profil de risque individualisé. Dès l’entrée en relation, le profil de risque présenté par chaque client doit être établi sur la base d’informations précises concernant ce dernier et en fonction de la nature de la relation d’affaires (clients particuliers, professionnels…). Ce profil doit intégrer des sources variées et fiables, telles que les typologies Tracfin, les listes GAFI, ou encore les appels à vigilance Tracfin, dont l’utilisation doit être documentée. Il devra par la suite faire l’objet de réexamens résultant d’une approche par les risques. 

Si ces exigences ne présentent pas de caractère révolutionnaire, elles reflètent l’importance accordée par l’ACPR à une connaissance client fine, régulièrement soulignée par la Commission des Sanctions.

Dans une section dédiée, les Lignes directrices soulignent l’importance spécifique de cette connaissance client lorsque ce dernier fait l’objet de mesures restrictives, notamment de gel des avoirs. Dans ce cas, il est attendu de l’organisme financier qu’il réévalue attentivement le profil de risque du client, et « examine en particulier avec attention le fonctionnement de la relation d’affaires, notamment les opérations qui ont précédé l’entrée en vigueur de la mesure restrictive ».

Les examens renforcés – Les nouvelles Lignes directrices clarifient les critères déclencheurs de l’examen renforcé « de toute opération particulièrement complexe ou d'un montant inhabituellement élevé ou ne paraissant pas avoir de justification économique ou d'objet licite »1. Elles précisent désormais que la présence d’un seul de ces critères suffit au déclenchement d’un examen renforcé de l’opération, même en l’absence de raison de soupçonner que les sommes concernées seraient le produit d’une infraction2

Notons que l’ensemble des caractéristiques atypiques de l’opération doit être pris en compte dans le cadre de l’examen renforcé. A cet égard, les Lignes directrices attirent notamment l’attention des organismes financiers sur les schémas et opérations complexes ou favorisant l’anonymat, comme le recours à des fonds provenant de portefeuilles de cryptoactifs.

L'examen renforcé doit être documenté, traçable et faire l'objet d'un compte rendu intégré dans le dossier client, conformément à l'article R. 561-22 du Code monétaire et financier. Les nouvelles Lignes directrices insistent tout particulièrement sur l’exigence de documentation de l’examen renforcé, rappelant, dans la lignée de décisions de la Commission des Sanctions3, qu’il appartient aux organismes financiers d’être en mesure de démontrer avoir effectué les diligences et analyses nécessaires. 

Les déclarations de soupçons à Tracfin – La section relative aux déclarations de soupçons (« DS ») revient sur des exigences classiques en la matière : elle rappelle qu’une opération suspecte doit nécessairement être déclarée à Tracfin, sans qu’il incombe au déclarant de démontrer l’existence d’une infraction. Il lui revient toutefois d’exposer clairement les circonstances et les éléments ayant fait naître ses soupçons.  

Les Lignes directrices rappellent l’importance de faire figurer dans la DS l’ensemble des éléments utiles à l’analyse de l’opération suspecte (éléments d’identification du client, descriptif complet de l’opération et des éléments atypiques, montants en jeu, contexte, etc…). Elles précisent en outre que les DS doivent, en principe, être émises préalablement à l’exécution de l’opération afin de permettre à Tracfin d’exercer son droit d’opposition4

Notons que cette section des Lignes directrices poursuit une finalité pédagogique : elle comporte en effet une liste de questions à envisager avant l’envoi d’une déclaration à Tracfin, permettant ainsi de rappeler aux organismes financiers les types d’opérations devant déclencher un signalement. Elle revient également sur plusieurs schémas faisant régulièrement l’objet de DS, comme celui du soupçon de blanchiment de fraude fiscale ou encore celui de la donation. Enfin, cette section dédie plusieurs paragraphes aux soupçons de financement du terrorisme et différents indicateurs y relatifs devant alerter les organismes financiers (dons ou flux croisés vers des associations, utilisation de plateformes de financement participatif…).

Nouveaux risques BC-FT – Les Lignes directrices mettent l’accent sur l’importance de détecter les cas de fraudes documentaires, en citant notamment les faux administratifs et les deepfakes5, et rappellent que la détection de telles fraudes doit entrainer la révision du profil de risque concerné, et le cas échéant, un examen renforcé pouvant aboutir à une déclaration de soupçon. 

Les Lignes directrices évoquent par ailleurs le modèle Banking as a ServiceBaas »), permettant à des entreprises d’apposer leur marque à des services développés par un organisme financier assujetti, et de les proposer à leurs propres clients. Ce modèle est qualifié de structure à risque élevé en raison de l’interposition de l’agent commercialisateur. L’organisme financier devra conserver une maîtrise complète du dispositif LCB-FT concernant ces services, incluant la connaissance des produits distribués, la supervision des partenaires et l’intégration des activités externalisées dans le contrôle interne.

Les évolutions technologiques au soutien de la LCB-FT

Les systèmes automatisés de surveillance – La grande nouveauté des Lignes directrices  concerne le développement des systèmes automatisés de surveillance et de détection des opérations atypiques, qui n’étaient évoqués que de manière assez générale dans la version de 2018. 

Les Lignes directrices précisent désormais que le recours à des dispositifs de surveillance automatisés peut être rendu nécessaire par « la taille et la nature des organismes financiers ». 

Dans la lignée articles 4 et 5 de l’arrêté du 6 janvier 2021, il est attendu que le dispositif automatisé soit entièrement adapté aux activités de l’organisme financier assujetti : son paramétrage devra ainsi être fondé sur la connaissance client, les activités de l’entité, et la cartographie des risques. Les Lignes directrices soulignent également que l’efficacité du dispositif devra être régulièrement évaluée, notamment au moyen d’indicateurs de suivi de performance qualitatifs et quantitatifs. 

Ces exigences font écho aux constats opérationnels de l’ACPR lors de ses revues thématiques de 20226 et à certaines décisions de la Commission des Sanctions, lesquelles avaient mis en lumière l’insuffisance du paramétrage de certains dispositifs parfois « déconnectés » des réalités opérationnelles.7

L’intelligence artificielle – Les nouvelles Lignes directrices envisagent enfin la possibilité pour les organismes financiers assujettis de recourir à des technologies d’intelligence artificielle ou de machine learning afin de renforcer leur dispositif de LCB-FT. 

L’ACPR et Tracfin reconnaissent le potentiel de l’intelligence artificielle dans un tel cadre : elle est en effet susceptible de permettre une segmentation plus fine de la clientèle grâce à la prise en compte de critères multiples, l’amélioration des scenarii de détection grâce à une analyse dynamique des comportements, et le repérage de schémas de blanchiment complexes. 

Les Lignes directrices observent toutefois que le recours à ces technologies suppose un pilotage adapté et que « les organismes financiers demeurent responsables du déploiement et de « « l’explicabilité » des algorithmes d’IA », et que leur efficacité devra être régulièrement évaluée. 

Sans surprises, les Lignes directrices précisent que le dispositif de LCB-FT ne pourra en aucun cas reposer sur la seule intelligence artificielle. Un contrôle humain « approprié et proportionné » est attendu, particulièrement concernant les examens renforcés et les déclarations de soupçons. 

En définitive, la principale exigence qui se dégage de ces nouvelles Lignes directrices demeure une approche dynamique par les organismes financiers assujettis de la conformité à leurs obligations de LCB-FT : ceux-ci sont tenus, quels que soient les moyens opérationnels et technologiques déployés, de s’assurer constamment d’avoir un dispositif de LCB-FT efficace, actualisé, et adapté aux profils de risques de leurs activités et de leur clientèle. 

L’ACPR et Tracfin insistent enfin sur l’importance de la rationalisation du dispositif, et sur la nécessité, pour les organismes financiers, d’être en mesure d’expliquer et de documenter chaque pan de ce dernier et chaque décision prise dans ce contexte.  

 

Écrit par Jean-Pierre Picca,Arthur Merle-Beral, et Gabrielle Imbert.

References

  1. Art. L. 561-10-2 du Code monétaire et financier. 
  2. Les Lignes directrices reprennent ici l’un des apports d’une décision récente de la Commission des Sanctions (cf. ACPR, CS, no. 2022-01, 15 février 2023, §32). 
  3. Ibid
  4. Le droit d’opposition, prévu par l’article L. 561-24 du CMF, permet à Tracfin de s’opposer à la réalisation d’une opération déclarée non encore exécutée. L’opposition peut s’étendre à l’exécution de toute opération liée. 
  5. Technique permettant la création ou le trucage de fichiers audio ou vidéo grâce à l’intelligence artificielle.
  6. ACPR, Rapport de revue thématique, « Dispositifs automatisés de surveillance des opérations en matière de LCB-FT », Avril 2023. 
  7. ACPR, CS, no. 2022-03, 12 octobre 2023, §26. 

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