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Réforme du droit des sûretés en Mauritanie : inspirée par la nécessité de simplifier le droit des sûretés, la loi n° 2022-11/P.R du 15 juin 2022 abroge la plupart des textes existants, répartis pour l’essentiel entre le Code des obligations et contrats et le Code de commerce, pour instaurer un régime dit « spécial » de sûretés mobilières qui se décline entre, d’une part, le gage simplifié et, d’autre part, la réserve de propriété.
La Mauritanie a procédé, par la loi n°2022-011/P.R. du 15 juin 2022, à une réforme ambitieuse et innovante de son droit des sûretés réelles mobilières conventionnelles.
L’analyse qui suit vise à parcourir les points essentiels de cette nouvelle loi, à travers une revue non exhaustive des objectifs qu’elle semble viser ainsi qu’un exposé des lignes directrices qui se dégagent de cette réforme.
Si la distinction entre sûretés mobilières et sûretés immobilières n’est pas remise en cause, la nouvelle loi (article 3) n’établit aucune distinction selon que le bien grevé est corporel ou incorporel. Tous les biens meubles sont soumis au régime du gage, ce dernier étant désormais décliné entre, d’une part, le gage avec dépossession (réservé aux seuls meubles corporels) et, d’autre part, le gage sans dépossession, soumis à publicité et qui présente l’avantage de pouvoir porter sur un bien immatériel ou futur.
Si l’objectif premier de la loi nouvelle est bien de créer un régime unifié de sûreté pour tous les biens mobiliers, il semble que le législateur n’ait pas réussi à rassembler toutes les dispositions pertinentes au sein de la loi nouvelle. C’est ainsi que le nouveau régime de sûretés réelles est qualifié de « spécial » (article 1), tandis que l’article 2 de la loi définit les « règles générales » comme étant celles « (…) en rapport avec le gage, prévues respectivement aux articles 1100 à 1113 du Code des Obligations et Contrats et aux articles 190 et 191 du Code des Droits Réels, en ce qu’elles ont de non contraire à la présente loi. » Lesdites règles demeurent applicables en tant que gage de droit commun. On peut d’ailleurs regretter le maintien de ces articles, heureusement peu nombreux, souvent redondants sinon contradictoires avec ceux de la loi nouvelle.
Ce faisant, la loi prend le parti de la réforme des sûretés opérée par le législateur belge, en 2014, plutôt que celui du législateur OHADA, ce dernier ayant jugé utile de créer deux familles au sein des sûretés mobilières à savoir d’un côté, le gage de meubles corporels et, de l’autre côté, le nantissement de meubles incorporels, afin de mieux tenir compte de la spécificité du statut juridique de ces derniers. Pourtant, la loi n°2015-032 du 10 septembre 2015 avait introduit au sein du Code de commerce (articles 1156 (nouveau) à 1156 vicies septies (nouveau)) plusieurs régimes de nantissements portants sur des biens incorporels (créances, comptes bancaires, valeurs mobilières, propriété intellectuelle) à l’instar de la réforme de l’acte uniforme OHADA sur les sûretés opérée en 2011.
Afin de ne pas laisser de doute sur le champ d’application de la réforme, le législateur a pris soin, dès l’article 1er, de préciser que les sûretés réelles mobilières conventionnelles sont limitativement énumérées par la loi nouvelle (« [n]ulle autre opération juridique ayant pour objet ou finalité première la création d’une garantie sur un bien meuble n’est permise »).
Une fois ainsi rappelé le principe plus connu sous le terme de « numerus clausus des sûretés réelles », il restait à s’assurer qu’aucun texte ne subsiste en droit mauritanien qui instituerait une sûreté concurrente au gage prévu par la loi nouvelle.
Les articles 86, 87 et 88 précités montrent l’étendue du « toilettage » effectué par le législateur. En résumé, sous réserve des « règles générales », toutes les dispositions relatives au gage (civil et commercial) et aux multiples régimes de nantissements, sont abrogées. Il en est ainsi, par exemple, du nantissement de fonds de commerce (anciennement régis par les articles 144 à 148 du Code de commerce), du nantissement de titres (anciennement régi par les articles 1088 à 1095 du Code de commerce), des warrants sur marchandises (anciennement régi par les articles 1095 bis (nouveau) à 1095 quindecies (nouveau) du Code de commerce) et de tous les autres nantissements introduits par la loi n°2015-032 précitée.
L’on peut noter, au passage, que la distinction entre sûretés civiles et commerciales n’a plus lieu d’être, ce qui n’est pas le cas de la distinction entre consommateur et professionnel qui apparait dans un article consacré à la réalisation du gage (article 57 pour le pacte commissoire).
En revanche, la loi nouvelle n’a pas abrogé les articles 1080 à 1087 du Code de commerce qui régissent la cession de créances professionnelles à titre de garantie. Dès lors qu’il s’agit de prendre une sûreté sur des créances, les parties devraient donc avoir le choix, en droit mauritanien, entre la cession du Code de commerce et le nouveau « gage de créances » des articles 65 à 72 de la loi nouvelle, chacune des sûretés ayant son régime juridique propre, exclusif dans certains cas, qu’il faudra bien appréhender avant d’effectuer un tel choix.
Bien que le choix ait porté sur une sûreté unique à tous les biens mobiliers, le législateur n’a pas ignoré la spécificité de certains biens incorporels pour lesquels le gage n’est pas totalement adapté. Il en est ainsi des créances, des comptes bancaires, ou de la propriété intellectuelle, qui font l’objet de dispositions spécifiques dérogatoires prévues aux articles 65 à 78 de la loi.
Il faudra toutefois attendre que la pratique s’empare de cette réforme pour savoir si, en ce qui concerne certains types de biens incorporels (on pense ici aux valeurs mobilières et autres titres dématérialisés dont le régime spécial de nantissement issu de la loi n°2015-032 précitée avait pourtant fait la preuve de son efficacité et de sa souplesse d’utilisation), le recours au gage institué par la loi nouvelle ne posera pas de difficultés d’application.
Au titre des dispositions générales des articles 3 à 8, on retiendra le principe général du droit de suite du créancier gagiste (articles 4 et 19), la possibilité de consentir une sûreté en garantie d’une obligation future (article 5), la reconnaissance de la garantie consentie par un tiers (article 6), l’indivisibilité du gage (article 7) et enfin l’extension du gage à tout bien meuble qui viendrait à être rattaché physiquement au bien grevé initialement (article 8).
En ce qui concerne le statut des biens grevés, l’on notera le soin pris pour tenir compte de la spécificité des sûretés prises sur des choses fongibles (article 35) ou en transformation (articles 37 à 40).
A l’instar des réformes opérées, notamment, en France en 2006 et dans les pays membres de l’OHADA en 2011, le gage n’est plus un contrat réel, mais un contrat valablement constitué entre les parties par acte authentique ou sous seing privé (à peine de nullité, selon l’article 13), et la sûreté peut être rendue opposable soit par son inscription au Registre des sûretés mobilières, qui conserve le droit du créancier gagiste sur le bien gagé pendant une période de cinq ans (article 20), soit par la dépossession du constituant entre les mains du créancier ou d’un tiers convenu (article 22). Il convient par ailleurs de noter que, s’agissant du gage de compte bancaire, il peut également être rendu opposable par l’obtention par le créancier garanti du contrôle du compte bancaire (article 75).
L’on sait que les sûretés sans dépossession ne sont pas sans risque pour le créancier, en particulier lorsque le bien grevé est vendu à un tiers, à son insu. Seule la reconnaissance d’un droit de suite est alors en mesure de le protéger. Aussi l’article 19 prévoit-il que « lorsque le gage a été régulièrement publié, les ayants cause à titre particulier du constituant ne peuvent pas être considérés comme des possesseurs de bonne foi, et le créancier gagiste peut exercer son droit de suite à leur encontre… ». Par ailleurs, il faut noter que le créancier bénéficiaire d’un gage sans dépossession ne dispose pas d’un droit de rétention, contrairement au gagiste entré en possession du bien (article 36). En cas de procédure collective du constituant, le créancier devra subir la concurrence de certains créanciers bénéficiant d’un privilège supérieur au sien, conformément à l’ordre de distribution des deniers provenant de la réalisation des biens mobiliers en vigueur en droit mauritanien.
Le législateur a prévu des dispositions transitoires permettant de régler la question des sûretés mobilières rendues opposables antérieurement à l’entrée en vigueur de la loi (article 85). Les principes posés devraient permettre d’assurer une sécurité juridique pour les créanciers tout en prenant soin de ne pas aggraver la situation des débiteurs. En effet, d’après l’article 85 alinéa 2, « [l]orsque les conditions d’opposabilité prévues par la présente Loi sont satisfaites avant que la sûreté cesse d’être opposable conformément à l’alinéa 1, l’opposabilité et le rang de la sûreté sont maintenus sauf s’ils sont défavorables au débiteur ».
Parmi les innovations de la loi nouvelle, on peut citer celles qui concernent les modes de réalisation de la sûreté.
En effet, au-delà de la reconnaissance du pacte commissoire (qui n’est toutefois permis que si le gage est consenti au profit d’une banque par un constituant professionnel (article 57)), la clause de voie parée est également ouverte, avec la même restriction en ce qui concerne son bénéficiaire, peu importe que le constituant soit un professionnel ou un consommateur.
Selon l’article 54 de la loi, le créancier gagiste peut procéder à la vente de gré à gré du bien gagé, sans avoir à obtenir un titre exécutoire, à condition notamment que cela soit « de manière commercialement raisonnable » (selon l’expression retenue par le Code civil du Québec). Pour ce faire, le créancier est tenu de notifier le constituant en lui indiquant le prix minimum auquel il s’engage à vendre le bien. Ce n’est que dans le cas où le constituant conteste le prix de vente ainsi proposé que la vente sera confiée à un huissier.
Enfin, la nouvelle loi prévoit quelques dispositions sur la réserve de propriété, ainsi définie à l’article 79 : « [l]a propriété d’un bien peut être retenue en garantie par un vendeur par l’effet d’une clause de réserve de propriété qui suspend l’effet translatif du contrat de vente jusqu’à parfait paiement du prix par l’acquéreur ».
A peine de nullité, la réserve de propriété est convenue par écrit, et son opposabilité aux tiers suppose qu’elle soit publiée au Registre des sûretés mobilières. Si la légalité de la clause contractuelle n’a jamais fait débat, il était indispensable d’en assurer l’efficacité en cas de procédure collective de l’acquéreur, ce que permet la publication (article 81). Enfin, l’assimilation de la réserve de propriété à une sûreté permet au vendeur de la transmettre comme accessoire de la créance de prix en cas de cession de cette dernière.
Ces quelques remarques ne donnent qu’un aperçu limité des dispositions de cette loi (dont nous avons vu que certaines sont particulièrement innovantes) qui mériterait une étude plus approfondie permettant également de la mettre en perspective avec le droit mauritanien des procédures collectives.
Si l’ambition du législateur est louable, notamment en ce qui concerne l’unification du droit, il reste à confronter cette réforme à la pratique du marché et en particulier aux usages bancaires.
Compte tenu de son importance dans le nouveau dispositif, le caractère opérationnel du Registre des sûretés mobilières (pour lequel un décret d’application est annoncé à l’article 14), et son accessibilité à un prix raisonnable (il semble que les frais d’inscription demandés par le greffe soient de 0,1% du montant de la créance garantie), seront une des clés du succès de cette loi.
Authored by Olivier Fille-Lambie et Alexandre Salem.