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Notre équipe sociale fait le point sur les actualités du mois d’avril : de l’adoption de la directive sur les travailleurs de plateforme, au rappel de la cour de cassation sur la fin des engagements unilatéraux à durée déterminée, en passant par les précisions apportées par la chambre sociale sur la portée de la conciliation prud’hommale rédigée dans des termes généraux.
Le 24 avril dernier, le parlement européen a adopté la Directive du Parlement Européen et du Conseil (COM (2021) 0762) relative à l’amélioration des conditions de travail dans le cadre du travail via une plateforme. Un accord sur ce projet de directive avait été trouvé le 8 février 2024 entre le Parlement européen et le Conseil, et les ministres de l’emploi et des affaires sociales de l’Union Européenne avaient confirmé cet accord le 11 mars dernier.
Cette directive introduit, en son article 4, une une présomption de salariat pour tous les travailleurs de plateforme, dès lors que la plateforme numérique de travail contrôle certains aspects de l’exécution du travail effectué.
Ce même article, qui avait été longuement débattu, prend le soin de définir des critères qui indiquent quand la plateforme de travail numérique contrôle l’exécution du travail, soit :
La présomption s’applique dès lors qu’au moins deux indicateurs sont remplis.
Il revient à chaque état membre d’établir un cadre visant à garantir que cette présomption légale s’applique dans toutes les procédures administratives et judiciaires pertinentes et que les autorités chargées de faire appliquer la législation, telles que les inspections du travail ou les organismes de protection sociale, puissent également s’appuyer sur cette présomption. L’article 4 prend toutefois le soin de préciser que la présomption légale ne devrait pas avoir d’effets rétroactif, n’ayant vocation à s’appliquer qu’à des situations postérieures à la transposition de la directive.
L’article 5 garantit aux plateformes la possibilité de renverser cette présomption légale, en prouvant que la relation contractuelle en question n’est pas une relation de travail salarié au sens de la définition en vigueur dans l’État membre concerné.
A compter de la publication de la directive au journal officiel, la France, qui s’est fortement opposée à l’adoption de ce texte, disposera de deux ans pour la transposer en droit interne.
Cette transposition entraînera inévitablement un effort de mise en conformité substantiel, puisque le droit français prévoit à ce jour une présomption de non-salariat pour les travailleurs de plateformes. (C. trav. art. L. 8221-6) Par ailleurs, elle devra revoir son régime probatoire, qui fait aujourd’hui reposer la charge de la preuve de la relation de travail sur les travailleurs de plateforme qui demandent la reconnaissance de leur statut de salarié. En application de la directive, elle reposera désormais sur les plateformes, qui devront démontrer l’absence de relation de travail salarié et l’indépendance de leurs travailleurs à l’occasion de litiges visant à la reconnaissance d’une relation de travail salarié.
Quoique moins commentées, la directive introduit aussi dans son chapitre III des dispositions visant à encadrer l'utilisation par les plateformes des algorithmes à des fins de gestion des ressources humaines. Les articles 6 à 8 prévoient que les décisions qui ont une incidence significative sur les conditions de travail des travailleurs des plateformes, prises ou appuyées de façon automatisée doivent être surveillées et contrôlées par des personnes physiques, ayant la compétence, la formation et l’autorité nécessaires pour exercer ce contrôle. En outre, ces dispositions permettrons aux travailleurs de plateforme de demander une réponse motivée sur la justification de ces décisions et pourront les recourir, le cas échéant.
Dans une décision rendue le 3 avril dernier (Cass. soc., 3 avril 2024, n°22-16.937), la cour de cassation rappelle qu’un engagement à durée déterminée, pris unilatéralement par un employeur, cesse de produire effet au terme fixé sans que ce dernier soit contraint de respecter des formalités spécifiques.
En l’espèce, la société La Poste avait adopté une note interne (intitulée « bulletin ressources humaines ») en date du 28 mars 2013, qui prévoyait que « pour tous les projets impactant l'organisation et le fonctionnement des services, […] un délai de 2 années entières doit impérativement s'écouler entre deux projets consécutifs ». Cette mesure, valable initialement du 22 janvier 2013 au 21 janvier 2016, a été reconduite par bulletins successifs jusqu’au 31 décembre 2020.
Bien qu’aucune note additionnelle n’ait prévu la prolongation de cet engagement après cette dernière date, le CHSCT et le syndicat Sud postaux 95 s’opposaient à la mise en œuvre, en février 2021, d’un projet de réorganisation au sein de la Poste, en faisant valoir que la mesure citée constituait un usage. Ainsi, l’employeur devait selon elles respecter un délai de deux années entières entre deux projets consécutifs impactant l’organisation et le fonctionnement de l’entreprise.
La cour d’appel de Versailles a fait droit à la demande de suspension du projet. Selon elle, la mesure issue de cette note interne, pouvait être qualifiée d’usage puisqu’il s’agissait d’une règle constante et fixe, appliquée de façon ininterrompue depuis 2013. Or, pour mettre fin à un usage, l’employeur devait donc respecter la procédure de dénonciation, impliquant un délai de prévenance suffisant et l’information des représentants du personnel et des salariés, ce qui n’avait pas été le cas en l’espèce.
La cour de cassation ne partage pas l’analyse des juges de fond. Cassant la décision d’appel, elle a considéré dans son arrêt du 3 avril dernier que la mesure litigieuse résultait, non pas d’un usage, mais d’un « engagement unilatéral à durée déterminée », lequel cesse logiquement de produire effet au terme fixé sans que l’employeur soit tenu de respecter une formalité spécifique (i.e., notification préalable aux représentants du personnel, information préalable des salariés).
La cour de cassation opère donc une distinction claire entre de distinguer l’usage d’une part, issue de la volonté implicite des parties et devant être dénoncé et l’engagement unilatéral à durée déterminée qui résulte d’une volonté explicite de l’employeur et qui cesse de s’appliquer à la date qu’il a prévue, sans devoir respecter une formalité particulière.
En l’espèce, l’engagement en cause résultait bien d’une volonté explicite et unilatérale de l’employeur, celle-ci ayant été formalisée par écrit au sein du « bulletin ressources humaines ». Dès son adoption, ledit engagement avait été pris à durée déterminée, puis à chaque nouvelle prorogation, un nouveau terme précis était acté, jusqu’au 31 décembre 2020, dernière date fixée. Le seul fait que l’engagement ait été appliqué de façon ininterrompue depuis 2013 ne modifie pas la nature juridique de l’acte litigieux.
La cour de cassation censure donc l’arrêt d’appel, en estimant que les juges du fond ne pouvaient pas considérer que l’employeur était lié par un usage et qu’il demeurait, à ce titre, tenu de respecter un délai de deux ans entre les deux dernières réorganisations.
Dans cette affaire (Cass. soc., 24 avril 2024, n°22-20.472) une salariée, qui avait été embauchée en qualité de responsable clientèle dans une société de conseil en relations publiques, a été licenciée au cours de l’année 2018. Elle avait saisi une première fois le Conseil de Prud’hommes de Paris pour contester son licenciement, et ce litige s’était soldé par la signature d’un procès-verbal de conciliation le 28 novembre 2018.
Au titre de ce procès-verbal, la salariée renonçait « à toutes réclamations et indemnités et entraînait désistement d’instance et d’action pour tout litige né ou à naître découlant du contrat de travail et du mandat de la salariée », en contrepartie d’une indemnité « globale, forfaitaire, transactionnelle et définitive ».
Toutefois, quelques mois plus tard, la salariée assigne nouvellement son employeur, pour demander le paiement de la contrepartie financière de la clause de non-concurrence.
Par deux reprises, les juges du fond ont rejeté cette demande, de sorte que la salariée s’est pourvue en cassation, faisant valoir que la contrepartie financière de la clause de non-concurrence n’entrait pas dans l’objet du procès-verbal de conciliation. Elle soutenait qu’au contraire, le procès-verbal de conciliation ne pouvait porter que sur la contestation de son licenciement.
Il convient de rappeler que le Code du travail prévoit que le conseil de prud'hommes règle par voie de conciliation les différends qui peuvent s'élever à l'occasion de tout contrat de travail soumis aux dispositions du présent code entre les employeurs, ou leurs représentants, et les salariés qu'ils emploient. (C. trav., art. L. 1411-1) Par ailleurs, en son article L. 1235-1 le Code du travail dispose que l’accord visé à l’article L. 1411-1 « prévoit le versement par l'employeur au salarié d'une indemnité forfaitaire dont le montant est déterminé […] en référence à un barème fixé par décret en fonction de l'ancienneté du salarié », figurant à l’article D. 1235-21, et que ce procès-verbal « vaut renonciation des parties à toutes réclamations et indemnités relatives à la rupture du contrat de travail. »
En conséquence, il existait parmi les praticiens un débat sur la possibilité de prévoir expressément dans le procès-verbal de conciliation signé devant le CPH une renonciation à tout litige concernant l’exécution du contrat de travail. C’est pourquoi, la signature d’une transaction sur l’exécution du contrat de travail était plébiscitée en complément de la signature d’un procès-verbal de conciliation.
Or, dans cet arrêt, la cour de cassation rappelle que le bureau de conciliation et d'orientation a une compétence d'ordre général pour régler tout différend né à l'occasion du contrat de travail. Après avoir rappelé ce principe, elle rejette le pourvoi de la salarié en faisant valoir que les parties qui comparaissent volontairement devant le BCO peuvent librement étendre l'objet de leur conciliation à des questions dépassant celles des seules indemnités de rupture. Ayant donc rédigé leur procès-verbal de conciliation dans des termes suffisamment larges, la cour de cassation estime que la transaction couvrait toute demande relative à la clause de non-concurrence contenue dans le contrat de la salariée.
Par sa décision, la chambre sociale approuve la pratique consistant à éteindre tout litige lié au contrat de travail, et non exclusivement lié à sa rupture, en contrepartie du versement d’une indemnité forfaitaire.
Néanmoins, cette décision laisse deux zones d’ombre pour les parties à la conciliation. D’une part, elle n’apporte aucune clarification sur l’imbrication des articles L. 1411-1, L. 1235-1 et D. 1235-21 du Code du travail et la possibilité de bénéficier du régime fiscal de faveur prévu pour le versement des indemnités de conciliation dans le respect du barème dans l’hypothèse où la conciliation ne porte pas exclusivement sur la rupture du contrat de travail.
D’autre part, il convient de rappeler que, alors qu’une indemnité transactionnelle peut générer un différé d’indemnisation spécifique pour l’allocation chômage de plusieurs mois, l’indemnité de conciliation prud’hommale est exclue de l’assiette de calcul du différé spécifique d’indemnisation.
Or, la décision du 24 avril ne protège pas les parties contre les difficultés que pourrait poser, pour le calcul du différé d’indemnisation, le versement d’une indemnité de conciliation « mixte » dont une partie serait payée pour concilier sur l’exécution du travail et une partie pour concilier sur les demandes relatives à la rupture.
Authored by Thierry Meillat and Cristina Sanchez Herran.